C’est quand il fait noir dehors que Nox prend ses aises. Quand les monstres remplacent les arbres, quand les oiseaux laissent place aux chauves souris, quand le moindre bruit devient suspect et que les Ombres semblent sur vos pas. Quand Mona Luna, haute dans le ciel, lui murmure quelques poèmes aux sonorités argentées, quand, avec une fierté agaçante, elle lui montre le clair-obscur merveilleux qu’ils forment à eux deux.
— Tu as vu Nox, comme mon teint ressort bien à côté de tes cheveux ?
Nox est la nuit elle-même, calme, douce et sirupeuse. Du plus noir des noirs, sans nuage, sans étoiles, il est objet de craintes, d’inquiétudes, d’égarements, d’exaltations, d’ivresses. Il est recherché par certains, fuit par d’autres. Nox est la nuit, le père des monstres et l’allié des ombres. Nox a quelque chose de transcendant.
\
Scott était jeune. Scott était beau. Petit mais élancé, ça lui donnait des airs de fille. Il aimait se jouait des apparences, se teindre les cheveux, mettre du vernis, des faux cils. Il était bon dans ce qu’il entreprenait mais n’avait que des projets sans profondeur, sans avenir, destinés à l’instant présent ou, au plus tard, au week-end à venir.
Scott habitait Berlin, dans un bel appartement. Ses parents n’étaient ni riches ni pauvres. Leur seul problème était de gérer les dépenses de leur fils. Scott avait une sœur jumelle, Lena. Lena était du genre introvertie, le contraire parfait de son frère. Ils se ressemblaient dans leurs différences. Scott était le Yin quand Lena était le Yang et inversement. Elle, chaleureuse comme un rayon de Soleil, posée, réfléchie, touchante dans sa timidité. Lui, original, exubèrent, sans attache, impulsif, fier, vraiment très fier. Lena était le
pas assez quand Scott était le
trop.
Scott était débrouillard. C’est ce qui collait le plus à son caractère. Le système D. Le « Je me fous dans la merde mais je retombe sur mes pattes ». Scott savait user de ses charmes. Les garçons non plus n'y étaient pas indifférents. Il savait les séduire, les corrompre, les utiliser. Scott était mince, élancé, ça lui donnait des airs de fille et les mecs s’y laissaient prendre. Ce n’est pas ce que Scott préférait, jouer des épaules, battre des cils, mettre des lentilles pour accentuer la profondeur du bleu de ses yeux, il s’en serait bien passait. Ce n’est pas ce qu’il préférait, non. Mais ça lui était très utile. Aussi utile qu’il était fier. On avait Scott à la bonne. Il était le confident de beaucoup, le bon pote d’autres, celui qu’on aime bien pour tout le monde.
Scott sortait beaucoup. Au lycée, il fréquentait les petites brutes et les pompom girls. Enfin, leur équivalent dans le monde normal. Scott adorait dramatisait les choses. C’est à 15 ans qu’on avait commencé à l’emmener dans les soirées branchées de la capitale. C’est à cet âge qu’il avait prit goût à la nuit, à ce qu’elle représentait, à ce qu’on y faisait.
Scott sortait trop. Il adorait la nuit, les fêtes, les bars, l’alcool, les rues au pavé raisonnant, éclairées par les néons des enseignes. Ses fréquentations s’étaient encore dégradées. Ils partageaient tous le même train de vie : Dormir le jour, rêver la nuit. Scott et Lena étaient inscrits à la même fac. Ils partageaient le même studio en cité universitaire. Scott et Lena ne se voyaient quasiment plus. L’un rentrait quand l’autre partait. Le premier disait ‘
Bonsoir’ quand la seconde répondait ‘
Bonjour’. Mais Scott était toujours resté raisonnable. Jusqu’à ce qu’il rencontre Alambic.
Scott ne fumait pas, ne se droguait pas, buvait peu. Scott aurait pu être un bon dealer parce que, justement, il ne se servait jamais. Ça ne l’intéressait pas. Il en voyait beaucoup des qui ne savait plus s’arrêter. Après on plonge, après on ne remonte plus. Y’avait eu Tomy. Tomy était l’ami d’enfance de Scott et Lena, le voisin du coin de la rue. Tomy était longtemps sorti avec Lena jusqu’à ce qu’il chute plus bas encore que Scott. Lena en avait souffert. C’est de là qu’elle tirait sa timidité. Sa peur des autres en fait. Peur de souffrir. Il y avait eu Tomy donc. Et à cause du cas Tomy, Scott s’était promis de ne jamais toucher à la drogue. Quelqu’en soit l’apparence. Jusqu’à ce qu’il rencontre Alambic.
Scott n’avait pas beaucoup de chance en amour. Contrairement à l’idylle qu’avaient vécu Tomy et Lena pendant plusieurs années, lui ne se fixait pas. Scott n’avait pas d’attache. Quelques filles, quelques garçons. Rien de sérieux. Ce n’était pas ce qu’il recherchait, et il n’avait pas encore trouvait « LA » personne. Elle ou Lui, peu importait. Scott avait bientôt 20 ans et pourtant, il se berçait encore d’illusions. Ses rêveries se rapprochaient plus des contes de fée que du dernier numéro de Playboy. Scott avait conservé quelques traces de son enfance dorée, parsemée de Robin des Bois, Cendrillon et autre Casse-Noisette. Jusqu’à ce qu’il rencontre Alambic.
\
Alambic. Scott l’avait rencontré un soir de Mai, alors qu’il déambulait dans Berlin, à la cherche de son chemin. Il avait bu. A peine. Il ne s’était pas méfié parce que, chez Alambic, il y avait ce quelque chose que les autres n’avaient pas. Il avait baissé sa garde et Alambic était venu à sa rencontre.
— Tu cherches quelque chose ? Lui avait-on demandé.
— Je tiens juste à rentrer chez moi.
Il y avait ce quelque chose chez Alambic. Dans sa voix. Peut-être dans sa posture, ses gestes, sa façon de respirer. Ou plutôt de ne pas respirer. Un quelque chose qui intriguait Scott. Qui lui donnait envie d’en savoir plus sur lui. Ils s’étaient rencontrés depuis 3 minutes et déjà Scott savait qu’il ne rentrerait pas chez lui ce soir là.
— As-tu déjà vu l’univers quand il éternue ?
Scott s’était retourné pour mieux voir Alambic. La nuit était tiède, agréable, comme un songe dont on aimerait se rappeler mais qui nous échappe au matin venu.
— As-tu déjà vu l’univers quand il éternue ? Avait-il répété.
— Pas vraiment.
— Ça te dirait d’essayer ?
Il y avait quelque chose chez Alambic qui n’était pas humain. Quelque chose d’attirant qui avait éveillé la curiosité de Scott. Il l’avait suivi dans une ruelle si sombre que Scott ne distinguer plus que l’ombre d’Alambic sur le pavé gris de Berlin. Sans en être certain, il avait vu le flacon, la seringue, l’élastique.
L’héroïne. Scott avait pensé à Tomy et Lena. Puis il avait regardé Alambic. Quelque chose chez lui n’était pas humain. Quelque chose de corrosif et pernicieux.
Scott était devenu accro. A la drogue, aux trips, à Alambic. Il lui faisait découvrir un univers différent à chaque fois. Chaque piqûre était douloureuse, chaque voyage était un enfer. Mais le plus dur rester de se réveiller. Plus sûr de ce qu’il s’était passé. Plus sûr de ce qu’il lui avait fait. Alambic et ses baisers. Alambic et ses caresses. Alambic et son souffle sur la peau de Scott, ses doigts dans ses cheveux, ses murmures à son oreille. Dès lors, peu importaient Lena, Tomy, ses parents, la fac, la ville, le monde, la réalité.
Il y a un adage qui dit qu’on fait toujours du mal à ceux qu’on aime mais il oublie de dire qu’on aime ceux qui nous font du mal. Alambic était ce ceux là. Il disparut, du jour au lendemain. Il s’évanouit dans la nature comme une ombre au levé du soleil.
Scott le chercha pendant des mois. Dans la ville, dans Berlin, dans tous les endroits ou ils avaient pu se rencontrer. Dans les trips aussi. Il y retournait de son plein gré. Il s’y abandonnait dans l’espoir vain de le revoir. Et plus les mois passaient, plus les prises se rapprochaient. Et plus les prises se rapprochaient, plus les séjours duraient. Que devient-on quand le rêve remplace la réalité ?
Scott Nacht mourut d’une overdose le 9 Avril, l’année de ses 22 ans. Or, ce même jour dans les ténèbres, naquit une ombre du nom ne Nox.
\
Nox, aussi court que la nuit dans sa brutalité. Nox était fourbe dans sa façon de jouer. Il se moquait de l’issue, de gagner ou de perdre, il aimait jouer pour le jeu lui-même. Il adorait faire trainait les choses, torturer sur la longueur, avant d’achever dans un coup sec. Nox se faisait l’ami des pauvres Âmes perdues. Nox gagnait leur confiance avant de la trahir cruellement. Il faisait coulait les larmes plutôt que le sang. C’est ce qui l’amusait, ce qui l’enchantait, ce qui faisait ses Nuits.
On lui avait bien sûr parlé de Mère Ombre. Mais quoi ? Il était la Nuit elle-même, dans toute sa magnificence et toute sa transcendance. Il s'était presque imaginé que ses grands yeux pourraient l'amadouer. Il s'était presque imaginé qu'elle était comme n'importe quelle autre ombre. Elle, la Reine Noire. Elle l'avait remi à sa place, gentiment mais fermement. En quelques mots, Nox avait reconnu ses tords et de cette petite humiliation était née un sentiment de vengeance exacerbé.
C’est quand le soleil se meurt que Nox retourne à la réalité. Il ne cherche pas. Rien ni personne. Ces âmes dévoyées viennent à lui, comme en quête d’un réconfort au milieu de la Nuit. Ainsi rencontra-il Sun aux boucles noisette. Sun la fragile. Sun l’excessive. Sun l’attentive. Sun l’égarée. Il promet. Il lui ment. Il la corrompt. Il la fait miroiter. Il s’amuse d’elle. Mais il finit toujours par revenir. Pour la première fois, Nox s’attache. Nox craint le jour. Pourtant, il y a Sun à ses côtés.
C’est votre vie et elle s’achève minute après minute.